La Cour Européene des droits de l’Homme a décidé, dans un arrêt daté du 10 novembre 2016, qu’un délai de trois jours, 23h et 11 minutes avant la présentation d’un suspect à un juge d’instruction n’était pas contraire à l’article 5§3 de la CESDH.
La Cour a jugé que le délai est inférieur au maximum de principe de quatre jours qui ressort de la jurisprudence de la Cour. Par ailleurs la Cour estime que le délai est justifié de part des circonstances de fait (en l’espèces, des conditions météorologiques).
Le requérant estimait qu’il n’avait pas été présenté suffisament rapidement à une autorité judiciaire. En effet l’article 5 et spécialement son paragraphe 3 prévoit:
Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
L’intérêt de l’arrêt repose sur la notion d’immédiateté, d’aussitôt. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que ce délai est établi à 4 jours. Dès lors que le délai d’espèce est inférieur à 4 jours et qu’il est justifié par des circonstances extérieurs, l’article 5§3 de la CESDH n’a pas été violé.
Références: affaire Kiril Zlatkov Nikolov c. France (requêtes n os 70474/11 et 68038/12)
Thèses des parties
1. Le Gouvernement
32. Le Gouvernement fait valoir que le requérant a été présenté à un juge d’instruction trois jours, vingt-trois heures et onze minutes après avoir été remis aux autorités françaises. Il rappelle que, dans l’arrêt Medvedyev et autres c. France [GC] (no3394/03, CEDH 2010), la Cour a indiqué que le juge d’instruction était « assurément susceptible » d’être qualifié de « juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », au sens de cette disposition, et souligne que son indépendance est garantie par l’article 64 de la Constitution française et l’article 81 du code de procédure pénale. Il ajoute que, lors de la délivrance du mandat d’arrêt, le juge d’instruction vérifie qu’il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblables que la personne visée a pu participer à la commission d’une infraction, ce critère étant plus restrictif que ceux énoncés par l’article 5 § 1 c) de la Convention, et précise que le mandat est ensuite exécuté sous le contrôle non du procureur mais de ce magistrat. Il précise également qu’il résulte des articles 130 et 130-1 du code de procédure pénale que lorsqu’il y a lieu à transfèrement, la personne visée par le mandat doit être conduite devant le juge d’instruction dans les quatre jours, et qu’en cas de non-respect de ce délai, le juge d’instruction doit ordonner la remise en liberté de l’intéressée, à moins que ce retard soit dû à « des circonstances insurmontables ». Par ailleurs, poursuit le Gouvernement, il peut à tout moment ordonner sa mise en liberté s’il estime que les éléments qui ont justifié son arrestation ne sont plus réunis, comme cela résulte de la décision du Conseil constitutionnel no 2011-133 QPC, selon laquelle il peut à tout moment ordonner la remise en liberté de la personne arrêtée sur mandat d’arrêt, notamment au vu des déclarations qu’elle a faites devant le procureur de la République ; s’il décide de ne pas la mettre en examen, cela met fin à sa détention ; s’il décide de la mettre en examen et s’il estime qu’un placement en détention provisoire est nécessaire, il ne peut lui-même prendre cette décision (seul le juge des libertés et de la détention est compétent) ; il peut également, alternativement, mettre la personne en examen sous contrôle judiciaire.
33. Le Gouvernement considère que ce délai de trois jours, vingt-trois heures et onze minutes, était nécessaire dans les circonstances de la cause. D’abord parce qu’il fallait s’assurer de la parfaite information du juge mandant par le Procureur de la République, procéder à la levée d’écrou de l’intéressé et organiser matériellement son transfert de Strasbourg à Lyon, distantes de près de cinq cents kilomètres, ce qui impliquait la mise à disposition d’un véhicule administratif et d’une escorte policière. Ensuite parce ce que ce transfert devait se faire durant une période particulièrement froide et enneigée ; la circulation avait été fortement perturbée et de nombreux axes routiers avaient été coupés, ce qui avait conduit les autorités à interdire la circulation des poids lourds pendant plusieurs jours, à suspendre les transports scolaires et à fermer plusieurs portions d’axes routiers. Le Gouvernement produit à l’appui de cette allégation un document publié par Météo France (un établissement public administratif chargé de la prévision et de l’étude des phénomènes météorologiques), ainsi que des articles parus dans la presse les 8, 16 et 17 décembre 2010. Selon lui, la forte perturbation de la circulation conjuguée à la nécessité d’assurer la sécurité du convoi du requérant explique ce délai. Ainsi, les intempéries et la désorganisation qu’elles ont entraînée sur le territoire français au cours de la période considérée constituaient des « circonstances exceptionnelles » au sens de la décision Rigopoulos c. Espagne (no37388/97, CEDH 1999‑II) et de l’arrêt Medvedyev et autres précité.
2. Le requérant
34. Le requérant réplique que l’article 5 § 3 a été violé pour deux raisons : premièrement, parce que, s’il a été présenté quatre jours moins quarante-neuf minutes après sa remise aux autorités françaises à un juge d’instruction, celui-ci n’était pas « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de cette disposition ; deuxièmement, parce qu’un tel délai est excessif.
35. Sur le premier point, le requérant souligne tout d’abord que le juge d’instruction auquel il a été présenté n’était pas « objectivement impartial » puisqu’il s’agissait du même juge que celui qui avait décerné le mandat d’arrêt sur le fondement duquel il avait été privé de liberté, et qui avait donc déjà émis une opinion sur les charges pesant contre lui : il était « objectivement partisan » de sa mise en examen et de son placement en détention provisoire. Il souligne que s’il avait estimé que les charges étaient insuffisantes ou s’il avait considéré que la mise en examen s’imposait sans pour autant nécessiter un placement en détention provisoire, le juge d’instruction aurait pu ordonner sa mise en liberté avant la première comparution ; la circonstance qu’il ne l’a pas fait démontrerait qu’il préjugeait de la nécessité de la mise en examen et du placement en détention provisoire. Le requérant observe par ailleurs que les conditions permettant de décerner un mandat d’arrêt (l’existence d’« indices graves ou concordants ») sont identiques à celles permettant la mise en examen, si bien qu’en pratique, les personnes arrêtés sous mandat d’arrêt sont systématiquement mises en examen ; à défaut, le juge d’instruction se déjugerait. Le requérant souligne ensuite que le juge d’instruction n’avait le pouvoir de contrôler la régularité ni du mandat d’arrêt ni de l’arrestation. Dans son cas, le procureur de la République ayant annoncé qu’il saisirait directement le juge des libertés et de la détention en vue d’un placement en détention provisoire si le juge d’instruction ne le faisait pas, ce dernier n’aurait pu ordonner l’élargissement qu’en décidant de ne pas le mettre en examen. Par ailleurs, le juge ayant préalablement manifesté la conviction qu’il était nécessaire de recourir à la force publique pour le faire comparaître, il eut été invraisemblable qu’il décidât de lui faire recouvrer la liberté.
36. Sur le second point, le requérant souligne qu’un délai inférieur à quatre jours peut être excessif au regard des exigences de l’article 5 § 3, même dans le contexte d’une enquête portant sur des actes de terrorisme. Il renvoie aux arrêts Kandjov c. Bulgarie (no 68294/01, 6 novembre 2008 ; trois jours et vingt-trois heures), İpek et autres c. Turquie (nos 17019/02 et 30070/02, 3 février 2009 ; trois jours et neuf heures) et Gutsanovi c. Bulgarie (no 34529/10, CEDH 2013 (extraits) ; trois jours, cinq heures et trente minutes). D’après lui, le délai de quatre jours moins quarante-neuf minutes dont il est question dans son cas est excessif au regard des éléments suivants : ce délai est sensiblement plus long que celui jugé abusif dans les affaires İpek et Gutsanovi ; les faits qui lui étaient reprochés ne mettaient pas la vie en péril ; aucune investigation n’a été menée durant ce délai ; n’ayant pas accès au dossier, n’étant pas assisté d’un avocat et ne parlant ni ne comprenant le français, il se trouvait dans une position de fragilité ; le dossier de l’instruction et le Gouvernement sont muets sur les diligences qui auraient été accomplies par les autorités françaises afin d’assurer son prompt acheminement ; les autorités auraient pu et dû être d’autant plus rapides qu’elles savaient plus de trois mois avant son transfert en France qu’il avait été arrêté en Allemagne, qu’elles connaissaient le lieu du transfert trois jours avant et qu’il n’a rien fait pour retarder sa comparution. S’agissant des conditions météorologiques constitutives selon le Gouvernement de « circonstances insurmontables », le requérant rappelle que seules des « circonstances tout à fait exceptionnelles » sont de nature à rendre compatible avec l’article 5 § 3 un délai qui aurait normalement été excessif. Il note qu’il est très habituel que le froid et la neige perturbent la circulation automobile à Strasbourg au mois de décembre et, renvoyant à l’arrêt Koster c. Pays-Bas (28 novembre 1991, § 25, série A no 221), il rappelle que des circonstances prévisibles ne peuvent justifier un retard dans la présentation de la personne arrêtée à une autorité répondant aux exigences de cette disposition. Il estime en outre qu’en présence d’une circulation automobile non pas impossible mais ralentie, la priorité de passage dont bénéficient les véhicules transportant des détenus aurait permis d’assurer son prompt acheminement, qu’il aurait au demeurant été envisageable d’user du train ou de l’avion, et qu’aucune mesure particulière de sécurité n’était nécessaire dans son cas.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
37. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
a) Principes généraux
38. L’article 5 § 3 de la Convention vise à assurer que la personne arrêtée soit aussitôt « physiquement conduite » devant une autorité judiciaire, ce « contrôle judiciaire rapide et automatique » assurant aussi une protection contre les comportements arbitraires, les détentions au secret et les mauvais traitements. Il vise structurellement deux aspects distincts : les premières heures après une arrestation, moment où une personne se retrouve aux mains des autorités, et la période avant le procès éventuel devant une juridiction pénale, pendant laquelle le suspect peut être détenu ou libéré, avec ou sans condition. Pour ce qui est du premier volet, seul en cause en l’espèce, la jurisprudence de la Cour établit qu’il faut protéger par un contrôle juridictionnel la personne arrêtée ou détenue parce que soupçonnée d’avoir commis une infraction. Un tel contrôle doit fournir des garanties effectives contre le risque de mauvais traitements, qui est à son maximum durant cette phase initiale de détention, et contre un abus par des agents de la force publique ou une autre autorité, des pouvoirs qui leur sont conférés et qui doivent s’exercer à des fins étroitement limitées et en stricte conformité avec les procédures prescrites (voir, notamment, Medvedyev et autres, précité, §§ 118-120 ).
39. Le contrôle juridictionnel doit tout d’abord répondre à une exigence de « promptitude », car il a pour but de permettre de détecter tout mauvais traitement et de réduire au minimum toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle (ibidem, § 121). Sauf « circonstances exceptionnelles » (Rigopoulos, précitée), il doit intervenir dans un délai maximum de quatre jours après l’arrestation (voir McKay C. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 47, ECHR 2006‑X, et Năstase-Silivestru c. Roumanie, no 74785/01, § 32, 4 octobre 2007 ; voir aussi, par exemple, Ali Samatar et autres c. France, nos 17110/10 et 17301/10, § 45, 4 décembre 2014). Par ailleurs, un délai inférieur à quatre jours peut se révéler incompatible avec l’exigence de promptitude que pose l’article 5 § 3 si aucune difficulté particulière ou circonstance exceptionnelle n’empêchaient les autorités de traduire plus tôt la personne arrêtée devant le juge (voir, notamment, İpek et autres, précité, §§ 36-37, Kandjov, précité, § 66, et Gutsanovi, précité, §§ 154 et 159) ou lorsque des circonstances spécifiques justifiaient une présentation plus rapide devant un magistrat (voir, par exemple,Gutsanovi, précité, § 154, et Ali Samatar et autres, précité, même référence).
40. Ensuite, le contrôle ne peut être rendu tributaire d’une demande formée par la personne détenue : il doit être automatique (voir, notamment, Medvedyev et autres, précité, § 122).
41. Enfin, le contrôle doit être confié à un magistrat présentant les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et ce magistrat doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention. Il doit « entendre personnellement l’individu traduit devant lui » ; il doit examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, ordonner l’élargissement. Autrement dit, il faut que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détentio ». Le contrôle automatique initial portant sur l’arrestation et la détention doit donc permettre d’examiner les questions de régularité et celle de savoir s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne arrêtée a commis une infraction, c’est-à-dire si la détention se trouve englobée par les exceptions autorisées énumérées à l’article 5 § 1 c) de la Convention ; s’il n’en est pas ainsi, ou si la détention est illégale, le magistrat doit avoir le pouvoir d’ordonner la libération (voir, notamment, Medvedyev et autres, précité, §§ 123-126). Destiné à établir si la privation de liberté de l’individu est justifiée, le contrôle requis par l’article 5 § 3 de la Convention doit être suffisamment ample pour couvrir les diverses circonstances militant pour ou contre la détention (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 52, CEDH 1999‑III).
b) Application de ces principes
42. Arrêté en Allemagne et placé en rétention à son arrivée à Strasbourg le 16 décembre 2010 à 11 heures 45, le requérant a comparu devant le juge d’instruction de Lyon le 20 décembre 2010 à 10 heures 56, soit au bout de trois jours, vingt-trois heures et onze minutes. Comme indiqué précédemment, il estime que l’article 5 § 3 a été violé pour deux raisons : premièrement, parce que, s’il a été présenté quatre jours moins quarante-neuf minutes après sa remise aux autorités françaises à un juge d’instruction, celui-ci n’aurait pas été « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de cette disposition ; deuxièmement, parce qu’un tel délai serait excessif.
43. S’agissant du premier point, le requérant soutient tout d’abord que le pouvoir de contrôle du juge d’instruction est insuffisant au regard des exigences de l’article 5 § 3 de la Convention puisqu’il ne peut contrôler la régularité ni du mandat d’arrêt ni de l’arrestation.
44. La Cour a toutefois déjà souligné que le juge d’instruction est un « juge ou (…) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », au sens de l’article 5 § 3, compétent pour examiner le « bien-fondé » de la détention (Moulin c. France, no 37104/06, § 60, 23 novembre 2010 ; voir aussi, Medvedyev et autres, précité, §§ 128 et 132, Ali Samatar et autres,précité, § 44, et Hassan et autres c. France, no 46695/10, § 88, 4 décembre 2014). Certes, s’il peut prendre un mandat d’arrêt, le juge d’instruction n’a plus par la suite de compétence directe dans ce domaine, son rôle étant dans ce contexte de décider si la personne qui lui est présentée doit, ou non, être mise en examen. Cependant, pour ce faire, il vérifie s’il y a contre elle des « indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’[elle ait] pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi » (article 80-1 du code de procédure pénale). De fait, il vérifie ainsi le fondement de sa privation de liberté antérieure, un mandat d’arrêt ne pouvant être émis que sur la base de tels indices (article 122 du code de procédure pénale), et une garde à vue exigeant « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner [que l’intéressée] a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement » (article 62-2 du code de procédure pénale). S’il constate qu’il n’y a pas d’« indices graves et concordants », il ne peut la mettre en examen et elle est libre. Il faut d’ailleurs retenir que le principe est que cette personne est libre après la première comparution et que, lorsqu’il n’y a pas mise en examen, cette liberté de principe est simplement confirmée. Il en va de même en cas de mise en examen si le juge d’instruction considère qu’un placement en détention provisoire n’est pas nécessaire. S’il considère qu’il y a lieu de placer la personne mise en examen en détention provisoire, il ne peut prendre la décision lui-même : il doit à cette fin saisir le juge des libertés et de la détention.
45. La Cour retient en conséquence que, lors de la première comparution, le juge d’instruction se prononce sur l’existence de « raisons plausibles de soupçonner que la personne arrêtée a commis une infraction » au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention ; s’il juge que cette condition n’est pas remplie, il ne la met pas en examen et elle est libre. C’est là une part importante du contrôle requis par l’article 5 § 3 de la Convention. Il faut par ailleurs relever que cette comparution devant un juge d’instruction, magistrat indépendant, constitue une protection des individus non seulement contre les privations de liberté arbitraires ou injustifiée, mais aussi contre les risques de mauvais traitements et autres abus de pouvoir (paragraphe 38 ci-dessus).
46. Le requérant soutient ensuite que le juge d’instruction auquel il a été présenté le 20 décembre 2010 n’était pas « objectivement impartial » puisqu’il s’agissait du même juge que celui qui avait décerné le mandat d’arrêt sur le fondement duquel il avait été privé de liberté, c’est-à-dire d’un juge qui avait déjà émis une opinion sur les charges pesant contre lui.
47. La Cour constate cependant que cette allégation est démentie par les éléments du dossier. Il ressort en effet de ceux-ci que le magistrat qui a entendu le requérant en première comparution le 20 décembre 2010 n’est pas celui qui a décerné le mandat d’arrêt (paragraphe 7 ci-dessus).
48. Au surplus, la Cour relève que le fait qu’une privation de liberté trouve ainsi son fondement dans une décision d’une autorité judiciaire est avant tout une garantie pour la personne concernée. Cela implique en effet un contrôle juridictionnel ab initio de l’existence de soupçons susceptibles de fonder régulièrement son arrestation conformément à l’article 5 § 1 c) puisque, comme indiqué précédemment, un mandat d’arrêt ne peut être délivré que contre une personne à l’égard de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d’une infraction. Certes, lorsque le même juge décide ensuite, à l’issue de la première comparution de cette personne, s’il y a lieu de la mettre en examen – à défaut de quoi elle est mise en liberté –, il vérifie à nouveau s’il existe de tels indices contre elle ; il ne statue donc pas sur ce point l’esprit exempt de toute opinion. Cependant, cette seconde décision est prise après avoir entendu l’intéressé, qui est ainsi mis en mesure de lui soumettre des éléments ou des appréciations de nature à modifier son jugement.
49. La Cour conclut en conséquence que, le 20 décembre 2010 à 10 heures 56, le requérant a été traduit devant « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », au sens de l’article 5 § 3 de la Convention.
50. Il reste à décider s’il peut être considéré que le requérant a été « aussitôt » traduit devant un tel magistrat alors que cette comparution a eu lieu trois jours, vingt-trois heures et onze minutes après qu’il eut été remis aux autorités françaises.
51. La Cour constate tout d’abord que ce délai est régulier au regard du droit interne (paragraphe 27 ci-dessus) et est inférieur au maximum de principe de quatre jours qui ressort de sa jurisprudence (paragraphe 39 ci‑dessus).
52. Elle estime ensuite que les circonstances de l’espèce justifient suffisamment que le requérant n’ait pas été présenté plus rapidement au juge d’instruction (paragraphe 39 ci-dessus). Elle relève à cet égard que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon a jugé que ce délai de trois jours, vingt-trois heures et onze minutes n’était pas excessif au regard du temps nécessaire pour procéder à la levée de l’écrou de l’intéressé et organiser matériellement un transfert entre deux villes distantes de près de 500 kms, impliquant la mise à disposition d’un véhicule administratif et d’une escorte policière et ce, en pleine période hivernale (paragraphe 10 ci‑dessus). Elle ne doute pas que l’explication de ce délai se trouve pour l’essentiel dans le fait que le requérant n’avait pas été arrêté en France mais en Allemagne, et dans la circonstance que cela avait rendu nécessaire un transit par Strasbourg. En outre, comme le montrent les documents produits par le Gouvernement (paragraphe 33 ci-dessus), le trafic routier avait été perturbé en décembre 2010 dans l’Est de la France par des conditions météorologiques particulièrement mauvaises, ce que confirme le site public d’information « La Chaîne Météo », qui rapporte que ce mois de décembre avait été le plus froid depuis l’année 1969, que des hauteurs de neige exceptionnelles en plaine avaient été constatées et que la température de moins vingt degrés Celsius avait été enregistrée en Alsace. La Cour ne voit donc pas de raison de mettre en cause l’appréciation de la chambre de l’instruction.
53. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.